Congrès des Communes forestières: pour une approche exigeante et ouverte
Un département ancré dans la filière forêt-bois
La matinée du jeudi 6 juin, le président du Conseil départemental des Vosges, François Vannson, a a ouvert les travaux du conseil d'administration par l'accueil chaleureux d'un territoire où la culture forestière est profondément ancrée : « notre département est le premier producteur de bois en volume et le 3ème le plus boisé de France, avec une majorité de forêts communales.
Tous les métiers de la forêt et les formations qui y sont dédiées, sont représentés ainsi que les services aux industries du bois, les laboratoires de recherche et le centre de transfert de technologies (CRITT bois) basé sur le Campus de l'Ecole nationale supérieure des technologies et industries du bois à Epinal (ENSTIB) ». Le Directeur de l'ENSTIB, Laurent Bléron, est d'ailleurs intervenu lors du Congrès pour présenter cette formation d'excellence.
Les élus du département ont donc tout naturellement choisi de s'impliquer dans une démarche de gestion durable, notamment au travers d'une politique active en faveur de la construction bois. Le président Vannson est aussi revenu sur l'année 2018 : « l'ampleur et la rapidité des évènements qui ont jalonné l'année ont eu des répercussions difficiles : prévention des crises sanitaires et des risques auxquels nous sommes confrontés, impacts sur les pratiques forestières, nécessité d'expérimenter pour réussir ».
Des crises majeures à relever
Ces propos ont été repris par Jean-Claude Humbert, Président des Communes forestières de Lorraine : « nous avons des défis majeurs à relever dans la région avec la crise sans précédent des scolytes et la fièvre porcine africaine, ainsi que dans le même champ, le déséquilibre sylvo-cynégétique ».
Pour René Maillard, président des Communes forestières Vosgiennes, la situation est sérieuse : « en forêts publiques vosgiennes, la production annuelle d'épicéas s'élève à 200 000 m3 par an. En 2018, 190 000 m3 de bois scolytés ont été récoltés, soit quasiment la production annuelle. Pour 2019, l'estimation est identique, a minima, pour les épicéas. Il faudra y ajouter 80 000 m3 de sapins secs et sans doute 10 000 m3 environ de hêtre sec. Pour le moment, une attaque très forte est constatée sur les épicéas de plaine ; en dessous de 400 mètres, il est à craindre que 2 500 hectares d'épicéas sur 3 000 vont disparaître dans les 10 ans à venir en forêt publique ».
Retrait de l'encaissement, une victoire collective
En ouverture de l'assemblée générale, Michel Heinrich, maire d'Epinal et président de la communauté d'agglomération a qualifié ce Congrès 2019 de véritables « Etats généraux de la forêt » face aux maires de communes forestières de toute la France, soumis aux mêmes préoccupations, responsables d'un même avenir pour les espaces forestiers.
Revenant sur l'opposition au projet d'encaissement des recettes de ventes de bois des communes par l'ONF, le président a témoigné : « comme beaucoup d'entre vous et grâce à la vigilance de la Fédération, j'ai décidé de faire passer au Conseil municipal deux délibérations. L'une s'opposant à l'encaissement des recettes de vente de bois par l'ONF, et l'autre pour signifier notre attachement à la présence d'un réel maillage territorial de l'ONF. (...) Les problématiques des communes forestières ne peuvent être réglées uniquement par des délibérations municipales, chacun s'en doute. Nombre d'enjeux nécessitent des réponses nationales et je crois que le terme d'états généraux de la forêt n'est pas trop fort pour décrire le travail de réflexion qui est devant nous. Je suis cependant confiant quant à notre capacité de propositions, pour faire de ce congrès, le point de départ de la refonte de la gestion de la forêt française ».
Le président Humbert a confirmé cette analyse: « J'ai le sentiment qu'en 2015, le ministère des Finances n'est pas parvenu à faire ce qu'il avait annoncé, à savoir l'augmentation des droits de garderie et de la taxe à l'hectare. A présent, l'Administration a trouvé un palliatif (...), avec en plus une période de latence pour la restitution aux communes ».
Plus de 2300 communes forestières ont adressé au gouvernement leur délibération s'opposant à ce projet, soutenues en cela par de nombreux parlementaires et associations nationales d'élus, contre « une fragilisation de plus de nos territoires ruraux ».
Le 26 juin 2019, Matignon a informé la Fédération que le projet d'encaissement était retiré.
Du courage, une méthode, un Manifeste
Fédérer, c'est rassembler dans un objectif commun
« Et nous avons ensemble magnifiquement illustré cette définition » a lancé le président national Dominique Jarlier, en exprimant sa reconnaissance à l'ensemble des élus et des équipes qui ont oeuvré, depuis des mois, pour mener à bien une large réflexion et poser les bases d'un beau chantier, celui de l'avenir de la forêt publique et plus largement de la forêt française et de tout ce qu'elle induit dans nos territoires : « nous avons engagé une grande consultation, une grande réflexion dont nous avons livré les premiers contours. Ce travail, je le répète, a pour but d'objectiver la situation, sans stigmatiser tel ou tel ».
Le point de départ a été la situation de l'Office national des forêts, gestionnaire unique des forêts publiques, dont le modèle économique a vécu. Aujourd'hui, les missions doivent évoluer et tenir compte du contexte territorial et législatif : « nous voulons sauver le régime forestier et faire évoluer le modèle de gestion, surtout ne plus laisser pourrir une situation qui n'a que trop duré », a indiqué Dominique Jarlier
Sortir de l'impasse
Les élus ont accueilli et entendu une délégation de l'intersyndicale des personnels ONF à 2 reprises, en conseil d'administration puis en assemblée générale.
Le dialogue a été de mise : les agents ont fait part aux élus de leurs vives inquiétudes, voire de leur désarroi, mais aussi de leur attachement passionné à leurs métiers.
Une partie de ces analyses est partagé par les élus : l'attachement à un service public forestier fort, d'autant plus en milieu rural et le maintien des effectifs sur le terrain.
Mais la situation financière est catastrophique et le raisonnement à chaque fois simpliste de faire payer plus les collectivités est une impasse. Pour un budget de 850 millions d'euros, l'endettement atteint presque 400 millions d'euros et le déficit annuel, en moyenne de 40 millions d'euros, devient structurel et se cumule d'année en année. L'Etat réduit depuis 15 ans les effectifs qui sont passés de 15 000 agents à 9 000, sans oublier le gel de 145 postes en 2018 et la suppression de 250 en 2019, tout ceci sans jamais rétablir l'équilibre budgétaire. L'ONF n'a cessé d'augmenter les prestations payantes faisant perdre le coeur du métier à ses personnels et semant le trouble dans l'esprit des élus. Le contrat de confiance est rompu.
« Ni vaches à lait, ni boucs émissaires »
Les élus des Communes forestières sont certes responsables mais aussi lucides. La comptabilité analytique, au départ construite pour identifier les missions de services publics de celles relevant du secteur concurrentiel, a cherché à démontrer, sans y parvenir, que le coût de la gestion des forêts des collectivités était déficitaire.
Le raisonnement persistant de l'Etat est le suivant : avec les ventes de bois, les communes perçoivent un solde net de 130 millions d'euros, elles peuvent donc encore payer le service de l'ONF. Or, cela ne prend en compte ni les investissements dans les forêts des collectivités (accueil du public, préservation des ressources, protection contre les risques, renouvèlement du patrimoine...), ni l'engagement des communes dans l'augmentation de la récolte de bois demandée par l'Etat afin d'assurer un approvisionnement de qualité, régulier et continu pour la filière bois française et encore moins la contribution des revenus forestiers aux investissements des communes dans l'intérêt général.
« Je suis un républicain et je tiens absolument à ce que la loi, en France, s'applique partout de la même manière. Il y a un certain nombre de situations que vous semblez ignorer, mais il y a des cas particuliers qui déstabilisent complètement la règle républicaine » a déclaré le président de la Fédération nationale.
Que proposent les Communes forestières ?
Les Communes forestières ne veulent plus laisser perdurer cette situation.
En tant qu'aménageurs du territoire, garants de l'intérêt général et dans le contexte d'urgence climatique, les élus ont le devoir et la légitimité d'alerter, d'anticiper, voire de provoquer un électrochoc.
- Lors du Congrès, ils ont réaffirmé leur volonté de conserver une solidarité et une péréquation forte, ainsi que leur exigence d'un versement compensateur qui devrait être clairement défini comme une compensation pour les services rendus par les forêts des collectivités.
- Dans ce cadre, les élus doivent être placés au centre d'une gouvernance revisitée et renforcée dans toutes les décisions qui jalonnent la vie de leurs espaces forestiers et de leurs territoires.
- Ils demandent une séparation enfin claire entre les missions de service public et les activités concurrentielles.
Enfin, cette réflexion amène à une question fondamentale : que veut l'Etat pour la forêt française et en particulier pour la forêt publique ? Quel est son projet politique pour les forêts de France au coeur des défis de notre planète.
Pierre Grandadam, premier vice-président de la Fédération nationale et président des Communes forestières d'Alsace a déclaré : « aujourd'hui n'est pas un aboutissement mais un début. Nous ne voulons plus de rafistolage d'un établissement dont le modèle est à bout de souffle. Nous demandons que l'Etat se réapproprie le sujet FORET. Il ne peut pas abandonner ce secteur pour le livrer aux comptables. C'est une véritable politique en faveur des forêts dont a besoin la France. Les élus locaux sont les médiateurs pour mettre en oeuvre cette politique ».
Le manifeste, un point de départ
Chaque président des groupes de travail a présenté les premières pistes et propositions qui vont être partagées, discutées et améliorées dans les prochains mois, avec les élus communaux, départementaux, régionaux, les parlementaires, le gouvernement et les partenaires de la filière.
« Notre manifeste représente une volonté forte d'un régime forestier renforcé ; d'un service public forestier national ; d'une gestion et d'une commercialisation adaptée aux enjeux de la forêt et de la filière ; d'une forêt pleinement intégrée dans son territoire. Et pour cela, il nous faut mettre en place une nouvelle gouvernance ».
Jean-Claude Humbert, sur le régime forestier: « le régime forestier, c'est précisément la sauvegarde de la forêt dans l'intérêt général (...) Nous souhaitons que les 900 000 hectares de forêts identifiés qui ne bénéficient pas du régime forestier, à terme rapide et proche, puissent être intégrés sous ces mesures de sauvegarde. Parallèlement, nous souhaitons qu'il soit adapté aux nouveaux enjeux de la vie actuelle ».
Michel Grambert, sur le service public forestier national : « agir en faveur de la forêt française, c'est apporter une contribution pertinente et ambitieuse aux enjeux socio-économiques et environnementaux du pays. Ce que nous proposons, c'est un encadrement par un service public forestier unique de la gestion des forêts, privées et publiques, pour assurer une cohérence nationale. Il faut un service forestier à l'écoute des territoires, piloté et financé par l'Etat déconcentré pour mener à bien des missions dans le cadre d'une gouvernance locale ».
Roger Villien, sur la commercialisation des bois : « les élus souhaitent être décideurs du projet pour la forêt et choisir les orientations pour les espaces à l'échelle pertinente. Ils sont conscients de l'importance d'un opérateur national pour structurer l'approvisionnement des entreprises de la filière. Ils privilégient l'efficacité et le professionnalisme dans le processus de vente. Ils demandent cependant la possibilité de choisir par exception un autre vendeur dans le cadre de marchés très spécifiques, soit pour des essences particulières, soit pour structurer des filières locales modestes, mais significatives pour le territoire. Nous souhaitons un modèle qui aille de la forêt au marché face à un modèle de vente qui commence par la conclusion d'un marché et qui va ensuite chercher les bois correspondants ».
Jacky Favret sur le Plan Local Forestier : « le plan local forestier a pour objectif de répondre aux ambitions de notre temps, pour faire de la forêt et du bois un levier de l'aménagement et du développement des territoires, basé sur la volonté des collectifs et des élus, mais plus globalement de toutes les forces vives de ces territoires. Ce ne sera pas un étage de plus dans le millefeuille, mais en ouvrant la possibilité à l'intelligence collective locale de s'exprimer, il permettra de dégager et d'optimiser les moyens alloués à la forêt sur un territoire, il facilitera la prise en compte des préoccupations des citoyens et l'information du grand public ».
Francis Cros sur la gouvernance à construire : « Cette nouvelle gouvernance intervient à 2 niveaux : une gouvernance avec l'Etat, un service public forestier et les maires des communes forestières, propriétaires de forêts, mais également aménageurs de leur territoire, consommateurs de bois, maîtres d'ouvrage de bâtiment public, responsable des risques ; une gouvernance plus large qui associe d'autres acteurs de territoire tels que les parcs naturels régionaux, parcs nationaux, PETR, départements, régions. Ce chantier est à mener dans le cadre des plans régionaux de la forêt et du bois déjà validés. Nous sommes prêts».
Faire confiance aux territoires
La table-ronde qui a suivi, animé par Jean-Pierre Michel, vice-président de la Fédération nationale et président des Communes forestières de Champagne-Ardenne, a permis de poursuivre ces échanges et les contributions pour l'avenir de la gestion forestière. Elle s'est déroulée en présence d'Anne-Catherine LOISIER, Sénatrice de la Côte d'Or, présidente du groupe « Forêt et filière du bois » du Sénat, en charge du rapport d'information sénatorial sur l'ONF, Rémy REBEYROTTE, Député de la Saône-et-Loire, président du groupe « Forêt et filière bois » de l'Assemblée nationale, Daniel GREMILLET, Sénateur et Conseiller régional Grand Est et Philippe EYMARD, Vice-Président de la communauté d'agglomération d'Epinal.
« Aujourd'hui, nous voyons la force des stratégies territoriales. Elles sont adaptées à des ressources spécifiques, à des accès aux massifs qui ont leurs propres caractéristiques, à des filières d'approvisionnement et de transformation locales. C'est l'élément incontournable dans notre fondation de la filière : il ne faut plus raisonner en silos (privé/public), mais de manière transversale, en prenant en compte l'ensemble des objectifs sociétaux. C'est un message fort pour les acteurs publics et donc pour les détenteurs de l'intérêt général » a souligné la sénatrice qui a rendu son rapport sénatorial une semaine après le Congrès.
Et d'ajouter : « l'Etat doit se réapproprier cette filière. D'abord, parce que c'est la solution à un bon nombre d'enjeux sociétaux : énergétiques, de climat, d'emploi sur les territoires, de transformation d'un matériau renouvelable dont on n'a pas exploité toutes les possibilités. Il doit aussi laisser plus de liberté aux territoires pour s'organiser. Il faut être pragmatique. Il n'y a pas qu'une forêt ».
Le président Dominique Jarlier a conclu ces journées denses et animées :
« aujourd'hui n'est pas un aboutissement mais un début (...)
Nous cherchons à répondre à vos demandes dans un monde qui change afin de transmettre un patrimoine forestier en état de jouer pleinement son rôle dans les territoires et pour l'humanité ».
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En savoir plus
- Discours de Dominique Jarlier, président de la FNCOFOR
- Discours de Pierre Grandadam, 1er vice-président de la FNCOFOR
- Discours de Michel Heinrich, maire d'Epinal, président de la Communauté d'agglomération d'Épinal
- Discours de René Maillard, président des Communes forestières vosgiennes